Jackie Payne
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


 
Jackie, comment te présenterais-tu à ton public français ?
« Bonjour » je suis Jackie Payne, je viens de la Baie de San Francisco, et je suis très heureux d'être ici à... Bordeaux... Non au Festival Cognac Blues Passions (rires) !
J'y passe vraiment un moment formidable !

Je crois que ton apprentissage de la musique s'est fait très tôt, aux côtés de quelques légendes...
Je suis né à Athens, Georgia qui se situe à 72 miles d'Atlanta. J'ai grandi et j'ai passé mon adolescence à Houston, au Texas. De ce fait, durant ma croissance, j'avais la chance de fréquenter des gens tels que Johnny Clyde Copeland, Albert Collins, T Bone Walker qui était un bon ami, Lowell Fulson et tous ces artistes à qui je dois ma carrière musicale.

Beaucoup de gens se font passer pour ce qu'ils ne sont pas mais eux étaient vraiment de sérieux musiciens. A l'époque je ne me rendais vraiment pas compte que je grandissais aux côtés de véritables légendes...
J'ai eu la chance de travailler avec eux alors que j'étais très jeune. Ils m'ont donné tous les bons conseils relatifs au business du spectacle. Je ne parle pas de « show business » mais du « business du show ».
Tu sais, je suis un honnête et un pur Bluesman qui travaille avec son coeur...

Ton oncle Neal Pattman, a-t-il eu une importance capitale dans ton choix de carrière ?
Oui !
C'était mon oncle et la première fois que j'ai entendu du Blues, alors que je devais avoir 4 ou 5 ans, c'était une chanson qu'il m'interprétait. J'ai oublié le titre du morceau parce que j'étais vraiment très jeune... Lorsque j'allais le voir se produire lors de « Saturday night fish fry » il me permettait de l'accompagner. Il jouait de l'harmonica et j'interprétais un titre à ses côtés. Cela devait se passer en 1950 ou 1951...

Je revenais, à chaque fois, de ces soirées avec 50 à 60 dollars de pourboires en poche. Je te laisse imaginer ce qu'une telle somme pouvait représenter au début des années 1950, surtout pour un tout jeune enfant... C'était énormément d'argent !
Pour mon premier concert professionnel, alors que j'avais 13 ans en 1958, mon cachet avait aussi été de 50 dollars, ce qui est assez surprenant...

Je me comportais comme une véritable éponge et j'essayais d'absorber un maximum d'informations au contact de Neal et de tous les autres artistes. Tu peux être surpris lorsque tu lis la liste de tous les gens que je connais ou que j'ai connu mais je peux te garantir que chacun d'entre eux à une une grande importance et une influence sur moi.

Le fait d'avoir chanté dans la chorale de Gospel de ton père a-t-il aussi été une chose déterminante pour toi ?
Absolument !
J'ai de nombreuses influences mais mon père et mon oncle sont les plus importantes. Du côté de mon père j'ai hérité le Gospel et du côté du frère de ma mère j'ai hérité du Blues.
En dehors des mots, il n'y a pas de grande différence entre ces musiques.
Dans le Gospel tu évoques Dieu alors que dans le Blues tu évoques ta petite amie...

J'ai assimilé toutes ces choses pour forger mon style. C'est, en partie, pour cela que je suis aujourd'hui au Cognac Blues Passions. Je suis très surpris du nombre de gens qui me connaissent ici. Par exemple, toi David, tu sais même qui était mon oncle et j'en suis très surpris. Tu sais il était un grand harmoniciste mais il était aussi le meilleur raconteur de blagues et de mensonges de tous les temps !

Pourquoi as-tu décidé de partir à Houston lorsque tu avais 17 ans ?
J'y avais une cousine qui faisait de la musique et qui chantait dans l'orchestre d'un grand  musicien de Rythm and Blues qui avait influencé Little Richard. Son nom était Esquerita. Elle m'avait dit que je n'arriverais jamais à me faire un nom en Georgie et que pour cela il fallait que je quitte cet état. Elle m'a proposé de m'héberger et de me présenter à des personnes influentes. C'est un conseil que j'ai décidé de suivre. De fil en aiguille j'ai pu rencontrer des grandes vedettes de la Nouvelle Orléans comme Huey « Piano » Smith and the Clowns, Ernie K-Doe qui est devenu un bon ami, Allen Toussaint qui est une vraie légende etc...

Ces rencontres m'ont permis d'élargir mon spectre car pour moi le Blues est une fondation de toutes les autres musiques américaines. Muddy Waters disait bien « le Blues a eu un bébé et il l'a appelé Rock'n'roll »...
Le Texas a, vraiment, été pour moi un endroit où j'ai pu avoir comme mentors de véritables légendes du Blues : Lowell Fulson, Johnny Clyde Copeland, Albert Collins, T Bone Walker, Eddie  « Cleanhead » Vinson etc...

Tu as souvent eu l'occasion de chanter avec ces personnalités ?
Oui, sauf avec T Bone qu'en principe je regardais jouer et observais attentivement. Il m'avait invité dans sa maison, à Linden Texas, avant qu'il ne déménage pour Los Angeles.
Un jour qu'il jouait dans un Club, il m'a aperçu dans la salle. Il m'a alors apostrophé en me disant « Hey « young blood », voici une nouvelle chanson rien que pour toi ». Il a alors interprété un titre qui ne figurait sur aucun de ces disques. C'était vraiment un homme très gentil.

Nous avons aussi enregistré, à une période, pour le même label « Jet Stream Records ». Je me souviens que j'étais parti à Los Angeles pour un spectacle. Lorsque je suis revenu je suis passé au studio où T Bone enregistrait deux titres avec Johnny Clyde Copeland. Il a décidé d'arrêter la session juste pour me voir et discuter avec moi. Tout le monde a été obligé de faire un break, alors que le studio était loué pour l'enregistrement de deux titres, pour la simple raison que « Young Blood » était de retour.

J'aimais T Bone car il était très patient avec les jeunes et n'hésitait pas à prendre sur son temps pour discuter et donner des conseils à ceux qui s'aventuraient dans une carrière musicale. Tout cela m'a beaucoup aidé par la suite, notamment durant les 15 années passées sur les routes avec Johnny Otis ou, plus tard avec mon propre groupe. J'essaye de transmettre aux jeunes les conseils prodigués par T Bone. Aussi bien en ce qui concerne la musique, les royalties, le copyright que la publicité...
C'est très important pour les jeunes, d'autant plus que plus tôt tu démarreras dans le business, plus tôt tu auras des chances de faire carrière et d'avoir du succès.

Peux-tu revenir sur ta collaboration avec Johnny Otis ?
Il avait besoin d'un chanteur. Son groupe était toujours constitué de 3 ou 4 chanteurs et chanteuses, 6 cuivres, 4 musiciens pour la rythmique, bref il y avait toujours au moins 14 musiciens dans sa troupe (« The Johnny Otis Show », Nda).

C'est l'une des chanteuses de cet ensemble, Barbara Morrison qui m'a mis en relation avec lui. Je savais qui il était et j'ai agréablement été surpris lorsqu'il a, lui-même, souhaité que j'intègre son équipe. Il ne savait pas encore quand il pourrait partir sur les routes avec elle mais m'avait promis de reprendre contact avec moi, il fallait que je le tienne informé d'un éventuellement déménagement ou changement de numéro de téléphone de ma part.
Six mois plus tard le téléphone a sonné, ma petite amie m'a dit :
 -« C'est Johnny »
 - « Johnny qui ! »
- « Johnny Otis »
- « Donne moi tout de suite le téléphone ! »

L'échange a été le suivant :
- « Peux-tu venir nous rejoindre ? »
- « Oui ! »
- « Serais-tu disponible pour répéter  ? »
- « Oui ! »
- « Peux-tu commencer cette nuit ? »
- « Oui ! »

J'ai donc immédiatement commencé à répéter avec son groupe et j'ai passé 15 années inoubliables à ses côtés. Je n'ai jamais regretté une seule minute !
Parfois les gens me demandaient comment je pouvais rester alors que ce n'était pas mon nom qui était mis en valeur sur les affiches. Je répondais simplement que la vie de tournée avec Johnny Otis était toujours digne de la première classe et que l'amusement était total.
En quinze ans j'ai fait 3 fois le tour du monde avec le « Johnny Otis Show ». Il est toujours vivant et  va bien.
Je le porte dans mon coeur ...

Depuis la fin des années 1990 tu formes un duo avec le guitariste Steve Edmonson. Pourquoi as-tu décidé de travailler avec lui ?
Nous étions beaucoup sur les routes ensemble au sein du groupe The Dynatones, c'était un ensemble de Soul-Blues.
Steve et moi partagions le même amour pour cette musique et avons décidé de faire exactement ce que nous voulions ensemble. Comme il n'y avait pas suffisamment de contrôle dans le groupe, il manquait peut être un vrai leader, j'ai décidé de partir alors que Steve est resté 3 années supplémentaires. Un jour il m'a téléphoné pour me dire, qu'à son tour, il ne faisait plus partie des Dynatones. Il jouait avec moi dès le week-end suivant et nous faisions exactement la musique que nous souhaitions faire. Notre premier album est sorti sur le label Burnside de Portland. Sur les deux CD suivants il y avait, à chaque fois, neuf chansons originales.

Nous avons « grandi » ensemble et, maintenant, c'est presque trop facile tellement nous sommes sur la même longueur d'ondes. C'est devenu un travail très simple pour lequel nous prenons beaucoup de plaisir et gagnons bien nos vies.
Cela nous permet aussi de rencontrer beaucoup de personnes intéressantes...

Les tournées européennes sont-elles très importantes pour toi ?
Il y a de grosses différences entre les tournées américaines et européennes !
J'aimerais passer le reste de ma vie en Europe. J'aime beaucoup les gens ici, leur façon de penser et de parler. L'Amérique est ma patrie mais ce n'est plus là-bas que je me sens le mieux. Les gens n'y sont pas assez décontractés...
De plus ici je gagne beaucoup plus d'argent et, ça aussi, c'est important (rires) !

Quels sont tes projets pour le futur?
J'aimerais continuer à développer ce concept musical, que j'ai créé à San Francisco, pour les jeunes de 11 à 20 ans. Je leur explique que le show-business est quelque chose de très dure. Qu'il ne suffit pas de monter sur scène avec sa guitare.
Mon premier atelier a été une déception car il n'y avait que 3 jeunes qui étaient venus y assister.
J'ai grandi avec une musique formidable dont l'histoire n'intéresse plus les jeunes, ils ne veulent rien savoir des traditions. Je vais continuer à me battre pour essayer de les sensibiliser. Je suis prêt à beaucoup m'impliquer, je leur donne mon adresse e-mail afin que je puisse répondre à toutes les questions dans les plus brefs délais. Je réponds au téléphone pour toutes les questions sérieuses...

J'aimerais leur faire prendre conscience que cette musique est, à la fois, fun et très importante. Il faut donc la préserver pour ne pas faire disparaître ce que des gens comme James Brown, Guitar Slim, Guitar Shorty, Johnny Copeland, Albert Collins et tous les autres ont mis des décennies à construire. C'est leur histoire...
Je ne peux pas croire, cependant, que cette musique disparaîtra avec ma génération...
Aujourd'hui il y a tous les supports possibles et imaginables pour la faire connaître au plus grand nombre.

De plus ces connaissances peuvent permettre aux jeunes d'avoir accès plus facilement à d'autres musiques par la suite. Pour jouer n'importe quel type de musique américaine il faut avoir eu des contacts avec le Blues, c'est un ticket qui vous ouvre plus facilement les portes. Prenez pour exemple des artistes tels que Carlos Santana, Jimi Hendrix etc... Ils ont tous baignés dans le Blues, à un moment, avant de s'orienter dans une autre voie.

Veux-tu ajouter une conclusion ?
Oui, par rapport à une question que tu ne m'as pas posée. Je voulais parler de Michael Jackson...
Depuis sa mort, encore plus de personnes le voient comme un génie.
Des gens disent, aussi, qu'il était le plus grand artiste de scène de tous les temps.
Là, je dis non !

Il était l'un des grands showmen de sa génération mais il n'était pas le meilleur. Il a eu le mérite d'apprendre ce que ses illustres idoles faisaient avant lui. Des gens comme James Brown, Jackie Wilson etc...
L'imitation est souvent la clé du succès. Je dis aux jeunes qu'il faut savoir puiser son savoir auprès des artistes qu'on admire. Je précise, aussi, qu'il faut savoir garder sa personnalité et que c'est comme ça qu'on s'améliore. A titre personnel je pense que James Brown était bien supérieur à Michael Jackson mais que ce dernier a eu l'intelligence de prendre ce qu'il a le plus aimé chez ses idoles tout en développant son propre style. Dans ce sens je le considère, aussi, comme un vrai génie...

J'avais beaucoup d'admiration pour lui et l'aimais beaucoup.
De là à le voir comme le plus grand artiste de tous les temps...
Il ne faut pas oublier les générations précédentes...
Ceci-dit j'ai beaucoup de respect pour lui et j'espère qu'il repose en paix.

Remerciements : Denis Leblond (Tempo Spectacle)

www.myspace.com/jpseb
www.DeltaGrooveMusic.com

 

 

 
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myspace.com/jpseb
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Interview réalisée au
Cognac Blues Passions
le 24 juillet 2009

Propos recueillis par
David BAERST



 

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